Mongo BETI, 9 ans déjà...mais plus vivant que jamais!
C’était
il y a 9 ans, le 7 Octobre 2001, à l’hôpital général de Douala. Fauché
par une insuffisance hépatique et rénale, Mongo Beti cassait sa plume.
A 69 ans. Après une vie littéraire et militante bien remplie, marquée
par des livres offensifs et mordants, un exil français de près de 30
ans, un retour timoré au pays natal et une fin modeste. Comme il le
voulait.
L’enfant de "la révolte muette"
L’histoire porte toute sa signification. Alexandre Biyidi Awala (du
vrai nom de Mongo Beti) a seulement 14 ans. Il est élève à l’école
secondaire de Mbalmayo. En fin d’année, lors de l’examen, un enseignant
de nationalité française propose aux élèves de disserter sur le sujet :
Ceux
dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête et ils ont
le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne
peut se mettre dans l’esprit que Dieu qui est un être très sage ait mis
une âme, surtout une bonne âme dans un corps tout noir
(Montesquieu, L’Esprit des lois, livre 15, chapitre 5). Il est choqué
par le sujet et refuse de disserter. Cela lui vaudra une expulsion de
l’école. Frondeur, iconoclaste, polémiste redoutable, Mongo Beti était
ainsi.
Alexandre Biyidi Awala, fils d’Oscar Awala et de Régine Alomo, naît le
30 juin 1932 à Akométam, petit village situé à 10 km de Mbalmayo. Après
des études primaires à l’école missionnaire de Mbalmayo, et son
expulsion de cet établissement, Alexandre Biyidi Awala travaillera
pendant un temps dans la plantation des cacaos de ses parents. Il sera
admis plus tard au Lycée Leclerc à Yaoundé d’où il sortira bachelier à
19 ans. Suite à cela, en 1951, il s'installe en France pour y
poursuivre des études supérieures de Lettres à Aix-en-Provence, puis à
la Sorbonne à Paris. Cette France qu’il n’a jamais cessé de critiquer.
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Mongo Beti
La France, ma haine et mon amour
Mongo Beti doit beaucoup à la France. Il y a fait ses études, séjourné
pendant son exil, enseigné et il a même épousé une française, Odile
Tobner devenue Odile Biyidi Awala. Celui qui s’est présenté comme un disciple de Voltaire
s’est servi de la langue française comme enseignant puis comme
écrivain. À partir de 1958, il occupe différents postes de professeur
de lettres en France. En 1959, il est nommé professeur certifié au
lycée Henri Avril à Lamballe. Il passe l’agrégation de Lettres
classiques en 1966 et enseigne au lycée Corneille de Rouen de cette
date jusqu’en 1994. Mais, c’est surtout par son talent d’écrivain qu’il
se fait découvrir. Il commence sa carrière littéraire avec la nouvelle Sans haine et sans amour,
publiée dans la revue Présence Africaine, en 1953. Un premier roman
Ville cruelle, sous le pseudonyme d’Eza Boto suit en 1954, publié aux
éditions Présence Africaine. En 1956, il écrit Le Pauvre Christ de
Bomba. L’ouvrage fait scandale par la description satirique qui est
faite du monde missionnaire et colonial. Paraissent ensuite Mission
terminée, 1957 (Prix Sainte Beuve 1958) et Le Roi miraculé, 1958.
Pendant une dizaine d’années, Mongo Beti ne publie rien.
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Mongo Béti |
Il ne signe son retour dans l’écriture qu’en 1972. Il publie chez Maspero un pamphlet, "Main basse sur le Cameroun", où il dénonce les crimes du néo-colonialisme dans son pays, et particulièrement le président camerounais Ahmadou Ahidjo. Le gouvernement français de l’époque interdit et fait saisir ce livre. Procédure en principe illégale depuis que les lois de la IIIè république ont instauré la liberté de penser et d’expression. Après une longue procédure judiciaire, Mongo Beti et son éditeur François Maspéro obtiennent en 1976 l'annulation de l'arrêté d'interdiction de l’ouvrage. Loin de le décourager, Mongo Beti continue d’écrire et de dénoncer avec fougue et ténacité.
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9 ans déjà!
Histoire d’un retour au pays natal
II n’existe pas de plus grande douleur au monde que la perte de sa terre natale
confesse Mongo Beti, rentré au Cameroun en 1991 après des dizaines
d’années d’exil. Un retour qui n’enlève rien à sa verve militante.
Mongo Beti prend sa retraite de professeur et ouvre à Yaoundé la
Librairie des Peuples Noirs. Parallèlement, il développe des activités
agricoles dans son village d’Akometam. Il crée également plusieurs
associations de défense des citoyens et écrit de nombreux articles
contre le pouvoir dans la presse camerounaise. En 1997, il publie une
Lettre ouverte au Parti Socialiste français en septembre dénonçant
l’accueil réservé au président camerounais Paul Biya par l’Elysée et
par Matignon en juillet après avoir « une nouvelle fois, applaudi à une
mascarade électorale organisée par un dictateur africain [...]. En
effet, des élections législatives totalement extravagantes s’étaient
déroulées au Cameroun le 17 mai [...]. Au moins les deux tiers du corps
électoral potentiel n’ont pu s’inscrire, ou bien, inscrits, se sont vu
refuser une carte d’électeur. [...] On ne compte pas les bureaux de
vote fictifs. [...] Or, [...] Paul Biya [...], s’apprête à rééditer
cette opération, à l’occasion de l’élection présidentielle programmée
par lui, unilatéralement [...], le 12 octobre [...] » écrit-il. Très
critique vis-à-vis du pouvoir de Yaoundé, jusqu’à la fin de ses jours,
il aura refusé que rien, même son souvenir, ne soit mêlé de quelque
manière que se soit à un régime qui pour lui est la cause de tous les
maux dont souffrent le Cameroun. A sa mort, sa famille, selon les vœux
de l’écrivain, a refusé tous les honneurs posthumes émanant de
l’establishment camerounais.
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Mongo Beti |
Figure hors normes de la « renaissance africaine » du XXe siècle, auteur d'une douzaine de romans qui composent une fresque épique et cocasse retraçant plus de cinquante ans de vie africaine ; polémiste redoutable, aimant à se laisser porter par la passion ; analyste impitoyable, des réalités de son pays natal, le Cameroun, Mongo Beti a laissé à son pays un héritage intellectuel et culturel immense que les nouvelles générations pourront revisiter dans les librairies dont la sienne, la librairie des peuples noirs à Tsinga à Yaoundé. De sa tombe, il doit sans doute se féliciter de son épouse qui, non seulement s’emploie à perpétuer sa mémoire, mais aussi se distingue par un anti-conformisme qui lui ressemblait parfaitement. Au moment où se célèbre ce triste anniversaire, c’est elle qui en porte la douleur. Mais c’est aussi la jeunesse camerounaise, le Cameroun et l’Afrique pour qui le redoutable pamphlétaire n’a cessé de lutter. Pour plus de justice et de liberté.